 Les passages à niveau 
des obstacles surtout psychologiques (sauf
en Suisse)
Le passage à niveau (PN), comme son nom
l’indique bien, est le lieu du franchissement d’une voie
ferrée par une route (passage) au même niveau (à niveau)
donc ni au-dessus (supérieur) ni au-dessous (inférieur).
La première conséquence évidente en est la possibilité
de collision entre les véhicules ferroviaires et routiers
à cet endroit-là. Les véhicules ferroviaires ayant pour
particularité un coefficient d’adhérence au sol largement
inférieur à celui des véhicules routiers (rançon d’un
très faible coefficient de frottement pour les premiers
par rapport aux seconds, d’où leur célèbre sobriété énergétique),
il leur est impossible de circuler « à vue »,
sauf à 30 km/h environ.
L’extrême dangerosité d’une éventuelle
collision a conduit dès les débuts du chemin de fer à
choisir une solution radicale : l’interdiction temporaire
du passage routier, souvent physiquement par des barrières,
sauf dans les cas de toutes petites routes ou chemins.
Pour ces derniers, le PN est traité comme une intersection
routière, sans aucun mécanisme de barrière ni signalisation
lumineuse ; un panneau routier dit « croix
de Saint-André » joue le rôle du panneau « Stop »
d’une intersection.
Pendant de longues années, les PN étaient
« gardés » : un agent était chargé de
manœuvrer les barrières (lourdes barrières rouges et
blanches), au moyen d’un mécanisme à manivelle lorsqu’elles
étaient basculantes, directement lorsqu’elles étaient
roulantes. L’arrivée d’un train étant signalé par le
tintement d’une sonnerie elle-même déclenchée par d’ingénieux
dispositifs électromécaniques placés sur la voie, actionnés
par les roues du train. La présence de l’humain évitait,
presque à coup sûr, un emprisonnement d’un véhicule
entre les barrières, pourtant manœuvrées simultanément
et de longueur égale à la largeur de la chaussée. L’humain(e)
en question était logé(e) avec toute sa famille dans
une de ses maisonnettes au charme discret sises à proximité
immédiate des PN.
De nos jours, il n’y a pratiquement plus
un seul PN gardé, et le « PN à SAL » règne
en maître sur les voies de France et de Navarre. SAL :
Signalisation Automatique Lumineuse. Il s’agit donc d’un
« robot », dont les barrières se ferment dès
l’approche du train (détecteur placé à une distance cohérente
avec la vitesse maximale des trains sur la portion de
ligne concernée) et se rouvrent dès le dégagement par
celui du segment de voie de quelques mètres croisant
la route (« circuit de voie court »). Pour
pallier à un éventuel (bien que très peu probable) non-abaissement
des barrières, le PN est équipé de deux puissants feux
rouges qui clignotent dès la détection de l’approchent
du train, quelques secondes avant le début de la descente
des barrières. Tant que les barrières ne sont pas en
bas, une puissante sonnerie retentit. Le code de la route
est formel : c’est le clignotement des feux qui
à lui seul signifie l’interdiction totale de franchissement
du PN. L’humain ayant disparu, parti à la ville dans
son HLM manger du poulet aux hormones*,
le risque de coincement d’un véhicule entre les barrières
devint réel. De ce fait, les barrières ne font plus que
la moitié de la longueur de la chaussée, afin de permettre
de continuer après un franchissement un peu « tardif ».
C’est le PN à SAL 2 : PN à deux demi-barrières,
chacune d’elles barrant la moitié droite de la chaussée
en abordant le PN. Certains PN « importants »
sont du type SAL 4, c’est-à-dire à quatre demi-barrières,
les deux demies de gauche s’abaissant après les deux
premières, le tout au prix d’un cycle plus long en temps.
Dernière subtilité : les demi-barrières
droites (SAL 2 ou 4) sont équipées d’un lest au
niveau du pivot dont l’effet est de les abaisser ;
Elles sont maintenues ouvertes par l’action d’un frein,
lui-même serré par un électro-aimant. Il en résulte qu’en
cas de panne prolongée de l’alimentation électrique du
PN (style tempête…), après épuisement des batteries,
le frein se desserre, et les barrières s’abaissent, fermant
le PN. Grand principe de base de la signalisation :
la panne doit conduire à un état de sûreté maximal. Pour
le SAL 4, les deux demi-barrières gauche ont le
lest placé de façon à ouvrir la barrière.
Détail pratique : tout PN est équipé
d’un téléphone permettant d’appeler le service ferroviaire
en cas de panne. Donc, même sans votre portable, vous
pouvez avertir quand il est évident que le PN est en
panne.
Pour les toutes petites lignes, parcourues
à faible vitesse, il existe le PN à SAL FC, FC pour « fermeture
conditionnelle ». Dans celui-ci, la fermeture est
déclenchée par un bouton poussoir au bord de la voie
près du PN ou par une commande radio, un panneau au bord
de la voie « Cde Radio » signalant l’endroit
d’envoi du signal. Le franchissement du PN par la circulation
ferroviaire est alors subordonné à la présentation de
deux feux verts fixes dont l’allumage est tributaire
du contrôle de fermeture des deux demi-barrières.
Les propositions du CRÉLOC
Malgré toute l’ingéniosité déployée pour rendre le plus fiable possible le fonctionnement des PN, force est de constater qu’ils sont à l’origine d’un grand nombre d’accidents chaque année. À l’origine ? Voire ! En fait pas plus que les intersections diverses que l’on peut rencontrer sur le réseau routier, et ce pour la même raison : La capacité presque illimitée qu’a l’être humain à se considérer comme invulnérable et donc à adopter des comportements totalement déraisonnables. Et en particulier lorsqu’il se trouve au volant d’une automobile (ou au guidon d’une moto…) ; n’oublions pas ce que disait le regretté René Dumont : « La voiture, ça tue, ça pollue et ça rend con. » Bref, dans l’immense majorité des cas, l’accident est dû à un non-respect du code de la route. Et c’est ainsi qu’après « l’accident de trop », notre brillant ministre des transports a décidé de proscrire tout PN sur toute nouvelle ligne ferroviaire.
Autant cette initiative est raisonnable
sur des lignes parcourues à des vitesses soutenues, et
d’ailleurs déjà bien avancée (plus de PN sur les lignes
à vitesse supérieure à 160 km/h, de moins en moins
sur les autres, de nombreux PN étant supprimés chaque
année du réseau) autant elle est contestable sur les
autres lignes. En fait, elle revient à sanctionner le
mode de transport qui n’est pas à l’origine des accidents,
dans le souci de ne surtout pas pénaliser le mode routier ;
Y a-t-il un texte interdisant la construction de toute
nouvelle route avec des croisements ? Généralisant
l’usage de l’échangeur ? Non, bien sûr ! Résultat :
les devis de réouverture de nombreuses lignes abandonnées
font plus que doubler, enterrant définitivement ces projets,
faisant même disparaître leurs associations de défense.
Dans le cas du Canfranc, il est remarquable
de constater que le seul passage dénivelé construit l’a
été par la Région Aquitaine, à ses frais, d’ailleurs
sous les quolibets des « amis du Canfranc »,
l’administration des routes s’étant, elle, bien gardée
de transformer les « emprunts » dits « réversibles »
en passages supérieurs ou inférieurs…
Le CRÉLOC fait donc les deux propositions
suivantes,
non
limitatives :
Ajouter aux barrières un obstacle physique
supplémentaire, de nature à rendre presque totalement
impossible le passage d’un véhicule routier lorsqu’il
est activé, après l’abaissement des barrières bien sûr.
C’est ce qui existe en Russie [voir photo],
d’après sa configuration, il n’est d’ailleurs pas impossible
que cet obstacle soit franchissable dans un sens, se
rabattant sous le poids du véhicule ; dans l’autre
sens, en revanche… bienvenue aux chicaneurs !

Système russe de protection impérative.

Détail des panneaux relevants. Un tel système
existe aussi sur les têtes de ponts mobiles tournants
pour
arrêter
les véhicules lorsque le pont est ouvert à la navigation.
Équiper les PN d’un système de caméra
numérique, ne filmant que lorsque le PN est activé (feux
rouges) histoire de pouvoir envoyer le courrier du Trésor
Public aux audacieux, sans oublier la pompe à points,
bien sûr. Système probablement bien moins cher que la
construction d’un pont ! Car malheureusement, il
se dit que les « chicaneurs » sont des habitués,
coutumiers du fait. Et si vous avez la certitude que
tout franchissement de PN dont les feux clignotent depuis
x secondes se traduira par une somme rondelette à payer
et quelques points en moins, nul doute que vous serez
vigilant !
Petit calcul simple : si le cycle
du PN dure quatre minutes, avec 20 trains par jour, cela
fait 80 minutes par jour ; les passionnés d’informatique
se feront un plaisir de calculer tous les combien il
faudra récupérer la mémoire.
PATRICK MARCONI
vice-président
du CRÉLOC
chargé
des questions techniques
___
(*) Les éventuels poulets
échappés par mégarde de la maison du garde-barrières
n’ont jamais constitué un réel inconvénient pour le
rail, ni pour la route d’ailleurs. Par contre le lien
social a disparu. On se souvient de la garde-barrières
du PN 87 qui, le 25 mai 1920, recueillit le président
de la République Paul Deschanel, tombé du train par
accident, et encore en pyjama. Elle le soigna, le réconforta
— peut-être avec du lait de poule — et le mit au lit
en attendant les autorités. Elle déclara à la presse :
« J’avais bien
vu que c’était un monsieur, il avait les pieds propres. »
C’est un trait qui montre qu’en haut lieu, on a tort
d’ignorer
l’humanisme
des gardes-barrières… [n. d.
l’op.].≤
Un petit tour chez les Helvètes
Les
Suisses, on le sait, ont tout misé
sur le rail, leur pays étant comme une vallée d’Aspe
au centuple, mais avec beaucoup plus d’habitants
et une fragilité de l’environnement analogue à la
nôtre.
Ce
n’est
pas
dans
cette
nation
qu’on
va entendre de longs gémissements sur les embarras
causés par les chemins de fer.
Pour avoir une idée des passages à
niveau suisses, voici quelques illustrations avec
des légendes adaptées :

Ce n’est pas la vallée d’Aspe,
la route est trop petite,
pas de barrières, un feu et la croix de Saint-André suffisent.

Ce n’est pas le rond-point de Bidos
mais c’est en ville,
deux
barrières simples, le platelage se confond avec
la chaussée.

Ce n’est pas la la gare de Bedous,
mais il y a deux voies et un quai,
les
barrières sont doubles, elles sont fermées, le
train va passer.
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